Pourquoi le crowdfunding est-il innovant ?

De quelle manière les banques abordent-elles le crowdfunding ? Après avoir vu le développement et le poids du secteur du financement par la foule regardons les initiatives des établissements et du secteur. Extrait de Point Banque numéro 116. REPRODUCTION INTERDITE. PUBLIE AVEC L’AUTORISATION DE POINT BANQUE.

Les plates-formes utilisent la « sagesse de la foule », qui n’est pas une intuition ou un adage populaire, mais un théorème réalisé par Francis Galton. En 1906, le statisticien britannique se rend aux comices agricoles de Plymouth. Il y découvre un concours d’évaluation de poids d’un bœuf. Quel est le poids de la bête après qu’elle est été abattue et « débitée » ?

Conforme au sens commun, il suppose et considère que les experts sont plus fiables que la foule. Les personnes présentent au comice parient. Galton note 787 paris. Il réalise des statistiques. Que constate-t-il ? L’estimation moyenne réalisée par la foule est 1 197 livres et le poids réel du bœuf est de 1198 livres soit uniquement une livre de moins ! La précision est inédite. Elle est 0.001. Cette théorie publiée dans la revue scientifique « Nature » est redécouverte avec l’informatique distribuée. Elle constitue l’un des socles des plates-formes qui reposent sur le pouvoir d’évaluation fiable de la foule.

De la prévente et un modèle qui limite les risques

 

Le crowdfunding est également un puissant outil de communication pour mobiliser une communauté.

Le crowdfunding est également un puissant outil de communication pour mobiliser une communauté.

Les plates-formes interactives facilitent la coconstruction du projet, son amélioration, la prévente, le financement, la vente et distribution du produit ou du service. Elles permettent d’accélérer la concrétisation grâce à la coconstruction avec les investisseurs et les internautes par exemple.

Les interactions avec la communauté enrichissent le projet et permettent aux porteurs de projets de mettre en adéquation la future prestation aux attentes des investisseurs et futurs acheteurs.

Ayant ainsi un intérêt commun, la mise sur le marché est accélérée et les risques diminués par le mécanisme de coopération avec les acteurs, le partage de connaissances variées et des remarques pour améliorer le produits mais aussi la coordination de chacun qui peut devenir un relai actif pour promouvoir le projet.
Par ailleurs, les plates-formes limitent les risques pour l’ensemble des parties. La collecte de fonds doit être réalisée dans un délai défini précisément, avec un montant clairement fixé. Si les montants ne sont pas recueillis dans le temps imparti, alors le projet n’est pas viable et les investisseurs sont remboursés des sommes qu’ils avaient envisagées d’investir.
Les plates-formes de crowdfunding sont également des vecteurs de communication puissants. Elles permettent de mener des campagnes de financements depuis les réseaux sociaux, un ciblage précis, ou de bénéficier de la mise à disposition de contacts…

Elles touchent rapidement un grand nombre de personnes pour tenter de constituer une communauté d’investisseurs actifs. Ainsi, chaque personne participant à la campagne devient un relai pour aider à atteindre l’objectif. Elle devient impliquée sous une forme ou une autre (financement, aides, conseils…). Pour décupler l’efficacité et gagner en notoriété, les projets peuvent également être relayés dans les supports de communication plus traditionnels ou la presse.

Des opportunités saisies par les banques

Ces nouvelles approches offrent des opportunités aux banques. Commercialement, elles peuvent raffermir les liens avec les prospects ou clients, mais aussi l’ensemble des parties prenantes. Les platesformes touchent de nouvelles cibles qu’elles ne finançaient pas jusqu’alors, et ce sans toucher à leurs fonds propres.

Elles décèlent sans risques les créateurs et projets, les innovations les plus plébiscitées, les secteurs les plus prometteurs, tout en pouvant les accompagner et leur proposer des financements complémentaires et une montée en gamme. Elles élargissent leurs gammes de produits et services. Elles sont également sur des marchés sur lesquels elles étaient peu présentes pour un coût modique. Elles occupent ainsi la place pour ne pas la laisser à la concurrence. Elles captent de nouveaux flux et recueillent les fonds des plates-formes partenaires.

Elles renouvellent également leur image, notamment auprès des plus jeunes et dirigeants de PME. Elles peuvent en outre fournir leurs technologies et toucher de nouveaux revenus, tout en constituant ou consolidant leur écosystème. Elles bénéficient également d’une meilleure connaissance des clients, des communautés, projets… grâce à l’exploitation des informations.

Deux types d’approches

En France, les banques se déploient sur le crowdfunding autour de deux stratégies : la création et la mise en place de partenariats. Lorsqu’elles créent leurs propres plates-formes, les banques cherchent alors un jouer un nouveau rôle pour leurs clients en relation avec une ou plusieurs classes d’actifs.

Par exemple, Crédit Mutuel Arkéa, via sa filiale Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels, s’est positionnée sur le crowdfunding des collectivités territoriales avec www.laplateformedesinstitutionnels.fr. L’ambition est de fournir un complément d’argent aux structures publiques pour répondre à leurs importants besoins de financements et d’investissements. « Cette plate-forme numérique permet aux collectivités locales de se financer directement auprès d’investisseurs institutionnels qui souhaitent donner du sens à leurs placements en accompagnant le développement des territoire », annonce Crédit Mutuel Arkéa.

Le marché est conséquent car, selon une étude Ipsos, seulement 30 % des collectivités obtenaient en 2011 les crédits sollicités, et les seuls investissements des Collectivités représentent plus de 60 milliards d’euros chaque année.

Avec cette plate-forme, Arkéa permet de nouer des liens étroits avec les différents acteurs au service d’un territoire et de faciliter des partenariats autour de projets communs. La banque bretonne a également créée www.kengo.bzh avec le groupe Le Télégramme pour soutenir les petites entreprises du territoire. Le financement se fait par un don avec ou sans contrepartie. Arkéa se positionne ainsi avec ces outils à la croisée de la finance, de la communication et du développement territorial.

Pour asseoir sa position régionale et renouveler son image auprès des entrepreneurs, Banque Populaire Atlantique et Crédit Maritime Atlantique de BPCE ont créé en 2015 www.proximea.net. Cette plate-forme est spécialisée en financement en capital (equity crowdfunding) à destination des petites entreprises prioritairement.

« Le circuit bancaire traditionnel n’est pas forcément taillé pour appréhender les opportunités de certains marchés émergents, parfois atypiques, ou autorisé à prendre des risques quand les perspectives de réussite reposent sur trop d’inconnues.[ …] nous souhaitions proposer un modèle économique, une alternative innovante et pérenne aux startupers régionaux et inventifs, une solution à la hauteur de leurs enjeux comme de leurs espoirs. L’outil crowdfunding nous est apparu comme étant le plus approprié pour les accompagner », affirme Olivier de Marignan, directeur général de Banque Populaire Atlantique.
A destination des associations, la Caisse d’Epargne a lancé en juin 2015 dernier une plate-forme www.espacedons.com. Celles-ci représentent 1.3 millions de structures et 3.2 % du PIB national – soit plus de 85 milliards d’euros par an – et perçoivent plus de 2 milliards d’euros de ressources issus de leurs placements.

L’ambition est de se rapprocher de cette cible peu endettée en offrant une valeur ajoutée. « Cette solution a pour ambition de favoriser les dons de proximité en donnant une plus grande visibilité aux projets associatifs locaux tout en contribuant à la modernisation de la collecte de dons. Aujourd’hui encore, la grande majorité de la collecte de dons se fait par des méthodes traditionnelles, coûteuses et fastidieuses notamment en traitements manuels : courrier, bulletin, chèque, par téléphone ou directement dans la rue. Espace Dons permet alors une diminution du coût de collecte et un gain de temps grâce à une gestion administrative simplifiée », explique l’établissement bancaire. Cet outil permet ainsi à la banque de collecter les sommes et de les transférer vers le compte Caisse d’Epargne du client pour faciliter de nouvelles acquisitions.
Certaines banques créent également des partenariats avec les plates-formes. BNP Paribas s’est associée avec Wiseed, site d’investissement en capital, pour toucher les communautés sensibles aux énergies renouvelables ou à l’innovation sociale.

Elle est également avec la Hello Bank ! à destination des jeunes, partenaire en France de crédit.fr, afin de permettre à ses clients de financer depuis son site internet des en treprises à la recherche de financement. Elle souhaite ainsi offrir de nouveaux placements qui peuvent offrir des rendements attractifs.

En Belgique, elle a créé avec Ulule (partenaire depuis plus de plusieurs années), « Hello crowd », qui permet à ses 400.000 membres, clients de la banque, d’investir mais aussi de lancer leurs projets aux côtés des 1,2 million de membres de son partenaire Ulule. Elle met également à disposition ses technologies pour trouver de nouveaux débouchés et revenus, mais aussi de réaliser des expérimentations avec un faible risque.

Par exemple, BNP Paribas Securities Services propose sa technologie reposant sur la blockchain à SmartAngels, plate-forme d’investissements en actions ou obligations (également partenaire de Fortuneo), pour que les entreprises non cotées puissent émettre des titres sur le marché primaire et que les investisseurs puissent accéder marché secondaire.

Les expérimentations

Dans une logique d’expérimentation et d’incubation, le Crédit Agricole a accueilli en 2014 dans son Village by CA, la plate-forme MiiMOSA spécialisée dans l’agriculture. La Caisse Régionale du Nord Midi-Pyrénées a réalisé un partenariat avec cette dernière pour compléter la collecte des fonds par un prêt bancaire et apporter sa notoriété.

La Caisse régionale de Charente Périgord réalise le même partenariat avec Bulb in Town via une campagne qui propose l’offre seulement quelques mois pour doper les demandes. Société Générale est partenaire de Spear depuis de nombreuses années, et propose un prêt intéressant grâce à ses épargnants solidaires.

La Banque Postale est quant à elle associée à la plate-forme Kiss Kiss Bank Bank orientée sur la culture (cette dernière plate-forme a par ailleurs vu récemment Orange investir directement dans son capital). Chaque acteur opère selon des logiques complémentaires et articulées, afin de trouver des synergies et mettre en place rapidement un écosystème pour conserver l’argent.

Patrice REMEUR