La blockchain est-elle en train de révolutionner la finance ?

Conjuguant à la fois scandale et admiration, le bitcoin, depuis sa naissance en 2009, dispose d’une technologie clé : la blockchain. Cette dernière promet de nombreuses innovations de rupture comme nous avons déjà pu l’évoquer dans nos précédents numéros. Reposant sur la décentralisation du système et des informations, la cryptographie, le partage de pair à pair sans intermédiaire et la transparence des enregistrements à travers un « grand livre » peuvent fondamentalement transformer l’organisation de l’ensemble du monde bancaire et les modèles économiques. Analyse publiée dans Point Banque numéro 107 et reproduite avec l’autorisation de Publi News.

Le blockchain révolutionne des secteurs entier de l'économie

Le blockchain révolutionne des secteurs entier de l’économie

Le monde bancaire a jusqu’alors été pensé par une informatisation progressive des activités traditionnelles. Les infrastructures ont été créées par et pour les acteurs bancaires. Certaines banques centrales s’intéressent activement au blockchain, voyant dans ce protocole l’opportunité de visualiser en temps réel les flux d’argent, contrôler plus aisément l’ensemble des opérations et mener des actions rapides sur la base de ces informations en temps réel. La blockchain va-t-il ainsi reconfigurer l’ensemble des infrastructures, des activités économiques et redistribuer les cartes entre les acteurs ? La question est posée.

Technologie open source

La monnaie virtuelle « bitcoin » dispose d’une réputation sulfureuse. Mais la technologie open source sur laquelle la monnaie et ses dérivés (litecoin, dogecoin…) reposent est prometteuse et riche en évolutions. « Il serait pour les banques et caisses d’épargne suicidaire de négliger [ces évolutions] en adoptant une attitude d’attente : d’autres industries ont vu les nouvelles technologies devenir la norme en un rien de temps, comme le démontrent les exemples de la photographie numérique, des smartphones et des médias en ligne. Une fois que la technologie numérique a pris pied, les banques ne sont plus en mesure de remettre le génie dans la bouteille », prévenait Andreas Dombret, membre du Conseil d’administration de Deutsche Bundesbank, le 26 octobre dernier à Munich lors d’un sommet financier sur « les opportunités et les défis de la numérisation pour les banques et les assureurs ». L’industrie bancaire prend le sujet très au sérieux. Nasdaq, BNP Paribas, Société Générale, City Bank, Financial Group, Commerzbank, Deutsche Bank, HSBC, Morgan Stanley, National Australia Bank, la Banque Royale du Canada, Goldman Sachs, Crédit Suisse, Barclays, JP Morgan, Royal Bank of Scotland, HSBC… travaillent activement sur les ressources offertes par cette technologie.

Mais qu’est-ce que le bitcoin ? C’est une monnaie virtuelle qui a été créée par une personne ou structure sous le nom de Satoshi Nakamoto en 2009 (cf. Le bitcoin est une monnaie qui est générée sans l’intervention d’une banque ou d’un Etat, mais par le système informatique. Sa valeur ne repose que sur l’usage et la confiance accordée par ses utilisateurs. Le système bitcoin peut transférer et échanger la monnaie « virtuelle » entre les membres contre des produits et des services. Il fonctionne sans intermédiaire et offre la possibilité d’échanger directement dès lors que l’on est membre. La monnaie est dotée de systèmes de cryptage performants. Elle est stockée de manière décentralisée au sein de la multitude d’ordinateurs détenus par les utilisateurs de la monnaie. Les informations sont chiffrées et éparpillées au sein de chacun d’entre eux. Il n’y a pas de serveur ni de centre de données ce qui rend ainsi la collecte des données difficiles par des personnes malveillantes. Les transactions sont vérifiées et protégées par l’ensemble du réseau des ordinateurs connectés. Le processus de vérification des transactions est réalisé par des « mineurs » qui sont des séquences de blocs. Ces « mineurs » reçoivent une rétribution en bitcoin pour leur travail sur le système. Elles sont également visibles par tous et en temps réel, à travers par exemple la plate-forme blockchain.info. Le solde, le nombre de transactions, le volume des transactions mais aussi, à qui sont adressés les bitcoins et à quel endroit…, sont autant d’informations disponibles.

Le système repose sur un mécanisme de signature cryptographique comprenant une clé privée permettant l’authentification du propriétaire, et une clé publique. A l’image d’une adresse email, des clés publiques dotées de caractères alphanumériques sont utilisées pour demander ou émettre des paiements. Elles peuvent être créées à chaque fois que l’utilisateur en a besoin. Le fonctionnement est comparable à celui des courriels. L’adresse bitcoin fait office de numéro de compte bancaire. Elle est la seule information nécessaire pour recevoir un paiement. L’utilisation du bitcoin se fait une fois le portefeuille dédié installé sur un appareil numérique (ordinateur, smartphone, tablette…), qui génère automatiquement une clé publique et une clé privée. Les opérations sont alors enregistrées de manière irrémédiable. Comment obtenir des bitcoins ? Il y a généralement trois manières de s’en procurer. Il est possible d’obtenir des bitcoins pour les « mineurs » en échange de leur participation au traitement informatique permettant les transactions et les enregistrements. Le bitcoin peut être également acheté avec de la monnaie réelle. Enfin, pour un vendeur, il est possible d’encaisser des bitcoins. Des frais de transactions minimes sont facturés.

Des avantages certains

L’avantage de tels systèmes de monnaies virtuelles réside dans le coût des transactions. Selon un rapport du gouvernement du Royaume-Uni, les frais seraient d’un maximum de 3 % selon les transactions. Alors que les coûts liés aux transactions de cartes bancaires dépassent 4 % et les frais pour des
transferts internationaux sont de l’ordre de 8 %. Les transactions en monnaies virtuelles ne connaissent pas les frontières. Les délais de transactions sont de quelques minutes aux quatre coins du monde, contre parfois plusieurs heures avec certains systèmes bancaires. Une transaction en bitcoin met dix minutes à être enregistrée, le litecoin, deux minutes, le Dogecoin une minute et ripple moins de six secondes. Ces systèmes permettent ainsi de faire circuler aussi facilement des masses de milliards d’euros de la même manière. Alors que les pièces et milliards de billets circulent lentement et restent nationales. Ces simples éléments démontrent tout l’intérêt pour le monde bancaire de s’intéresser à ces solutions. Mais le bitcoin et sa technologie vont au-delà de ces quelques avantages dans les services de paiement.

En effet, le blockchain constitue le véritable cœur des innovations. Le « grand livre » permet de recueillir l’ensemble des opérations réalisées de manière indiscutable et de les rendre accessibles à tous de manière anonyme. Il est à ce jour difficile de corrompre la blockchain. Les transactions se déroulent sans aucune intervention. Autrement dit, le système est purement technique – limitant ainsi toutes contraintes, et il ne peut contenir des actes ou être influencé par des stratégies orientées par des acteurs.

La blockchain est une sorte de « grand livre » public anonyme répertoriant toutes les transactions bitcoin qui ont été exécutées. Il stocke l’ensemble des données par ordre chronologique. Ce grand livre apporte une valeur probante à l’opération. La blockchain, après vérification, confirme que l’opération a été unique, et ce sans aucune infrastructure lourde et coûteuse. En effet, la blockchain élimine de longs temps de traitement, anéantit la nécessité de vérifier la transaction, et réduit ainsi les coûts de contrôles et liés aux risques.

Fonctionnant sur une architecture distribuée de pair à pair, la blockchain ne demande pas d’investissement massif, aucun entretien d’infrastructures informatiques, ni de recours à des intermédiaires. Il réduit les moyens humains. « La réduction des coûts opérationnels n’est pas le seul avantage de ce système d’échange sécurisé. L’architecture distribuée peut augmenter la confiance dans les produits financiers (titrisation notamment) qui peuvent être opaques ou lorsque les droits de propriété peuvent être incertains avec le rôle des autorités centrales. Notre analyse suggère que la technologie du grand livre distribué peut réduire le coût des infrastructures des banques liés aux paiements transfrontaliers, à la négociation de titres et à la conformité réglementaire entre 15-20 milliards de dollars par an d’ici à 2022 », affirme une étude de Santander InnoVentures réalisée avec Oliver Wyman et Anthemis group. La blockchain permettrait également d’éliminer les frais liés à la production, circulation et élimination des milliards de pièces de monnaie et de billets. A titre d’exemple, 60 milliards de pièces seraient créées chaque année. Elles pèsent 210 000 tonnes de métal. Ce qui signifie qu’il y a un coût de l’extraction des métaux, des frais de production, de transport, de sécurisation, de manipulation…. de l’argent.

La blockchain permet d’enregistrer tous les actes numériques

Les opérations des entreprises, banques, particuliers, associations… du monde entier, peuvent être comptabilisées à un seul endroit accessible à tous et être tenus sans aucune intervention de tiers. Il n’y a pas d’erreur possible. En outre, la blockchain permet pour la première fois de l’histoire de l’humanité de connecter l’ensemble des systèmes de transactions dans le monde. Avec son protocole ouvert, la blockchain élimine ainsi les problématiques d’interopérabilité et renforce la communication entre l’ensemble des systèmes. Depuis Internet, la blockchain offre en toute sécurité la possibilité de réaliser rapidement de nombreux actes liés à des transactions économiques (paiement, crédit…), mais aussi des contrats juridiques, des dépôts d’antériorité, tenue de comptabilité… La blockchain permet d’enregistrer tous actes numériques ou de les sécuriser. Cette technique peut ainsi être détournée de son but initial pour devenir un inventaire mondial d’enregistrement d’actes numériques. Elle peut permettre le suivi et le contrôle, et recenser toutes données de manière totalement transparente : idées, votes, biens, données financières, comportementales ou de santé…

La blockchain apporte une nouvelle mutation

Après l’ordinateur, l’Internet, le mobile et les réseaux sociaux, la blockchain est une nouvelle pièce maîtresse dans le monde connecté qui nous attend. Cette technologie apporte un enregistrement aisé, la vitesse de communication, davantage de protection et de transparence. Vêtements, véhicules, objets connectés, smart grids… toutes les opérations réalisées depuis un outil numérique et les informations peuvent être collectées et rassemblées et rendues accessibles. Elle agrège toutes les opérations, qu’elles soient humaines ou réalisées depuis des machines. Par exemple, depuis des véhicules connectés dans un environnement urbain, ce système permettra de réaliser un paiement d’une place de parking. Et grâce à ces données rendues publiques, les autres automobilistes disposeront d’information sur la réservation de la place et sa libération probable ou effective. A l’échelle de la ville, ils pourront mécaniquement être informés sur l’état de la circulation depuis ces données. Pour une banque ou une assurance, depuis ce type d’information, une fois compilée et corrélée, permet de déduire les habitudes, les distances parcourues, donc l’usure et la valeur du véhicule mais aussi les risques pour ajuster la prime d’assurance ou pour proposer un financement.

Qu’en est-il des initiatives dans le secteur bancaire ?

Au niveau des services financiers, depuis 2014, la très innovante banque allemande Fidor travaille avec Ripple Labs. Sur la base de la technologie blockchain, Ripple a amélioré le fonctionnement et a mis en place avec la banque un dispositif de paiement qui permet à la banque de proposer à ses clients de réaliser, à très faibles coûts, des transferts de fonds quasiment instantanément ou d’exécuter des opérations de change. Fidor et d’autres partenaires bancaires peuvent effectuer des paiements internationaux et interbancaires, sans aucune intervention et sans utiliser les infrastructures bancaires.

Au niveau des marchés financiers, Nasdaq a présenté le 27 octobre dernier sa plate-forme Nasdaq linq pour la gestion des participations des marchés privés. Elle a été développée en interne en collaboration avec le fournisseur Chain, consortium constitué par Visa, Nasdaq, Citi Ventures, Capital One, Fiserv et Orange. Nasdaq exploite la blockchain pour tenir les échanges de manière plus précise et moins coûteuse. La technologie facilite la délivrance, le transfert et la gestion des titres des sociétés. L’enregistrement de titres depuis la blockchain permet l’intégrité, la vérification, et améliore la gouvernance et le transfert des titres. Les opérations sont rapides, garanties, horodatées, traçables de bout en bout, et accessibles. Il n’y a pas d’erreur liée aux différentes manipulations lors de la vente ou d’achat de titres. Jusqu’à ce jour, les ventes et transferts d’actions se font par des systèmes informels, via des documents détenus par des tiers qui vérifient les transactions manuellement et mettent de nombreuses heures à être traitées. En outre, en rendant transparentes des informations exactes, Nasdaq facilitera l’accès aux financements des entreprises et fournira en temps réel l’état de la transaction ou le taux qui peut être ajusté immédiatement.

A terme, pour la banque, la transparence des informations depuis le grand livre permettra également de recueillir instantanément les dernières informations, les changements de prix, les nouvelles ou données relatives à des comportements d’une entreprise ou un secteur… Le système permettra de prendre les décisions en temps réel et de bénéficier d’analyses approfondies depuis des données exactes. Les informations relatives aux titres par exemple, pourront être automatiquement complétées à partir des données ouvertes collectées.

La blockchain résout l’anonymisation et accélère le big data

L’un des avantages du grand livre du blockchain est de résoudre à la fois la contrainte d’anonymisation et la multiplicité des formats des données, qui constituent les principaux freins au développement du big data. Ces nouvelles possibilités devraient permettre de découvrir des marchés et des opportunités totalement nouvelles. Des solutions comme Ethereum rendent autonome la gestion des contrats. Couplée aux outils de big data, cette technologie peut transformer la prédiction en action grâce à un fonctionnement automatisé dans des conditions définies. Mieux, la blockchain peut permettre à Nasdaq d’utiliser la capacité de calcul des machines qui lui sont connectées, et de résoudre ainsi des équations complexes rapidement et à coût modique voire néant. BNP Paribas travaillerait également sur le développement de ce type de solutions depuis la blockchain. JP Morgan, Société Générale, Mizuho Bank, UniCredit , Barclays, BBVA, Deutsche Bank Commonwealth Bank of Australia, Credit Suisse, Bank of America, HSBC, Citi, State Street, Royal Bank of Scotland, UBS… Pas moins de 25 banques se sont regroupées dans un consortium mondial à travers une structure créée en septembre 2015 et baptisée R3. Le consortium partage la recherche et l’expérimentation de prototypes et de protocoles autour de cette technologie. Barclays et USB investissent également dans des expérimentations.

Il semble que ces démarches soient vitales pour ces acteurs. Regardons par exemple du côté du transport, avec l’initiative La’Zooz. Depuis la blockchain, La’Zooz est un service de transport comme Uber ou Blablacar, mais qui appartient aux usagers. La plate-forme met en relation les passagers et les conducteurs pour se rendre à une destination commune. L’innovation réside dans le fait que les revenus sont partagés entre la plateforme, les conducteurs et les passagers, et non plus seulement entre le conducteur et la plate-forme. Les données appartiennent aux usagers. Le client est rémunéré et de ce fait chacun devient acteur pour accélérer l’adhésion et accroître ainsi les revenus. Ce type de modèle économique est incarné dans les services de paiement par Abra, solution reposant sur la blockchain. La banque de demain depuis la blockchain, pourrait proposer ce type de solutions avec des revenus mieux partagés et des services adaptés à valeur ajoutée. A moins que la généralisation de l’informatique quantique, qui permet notamment de déchiffrer n’importe quels cryptages, ne vienne déjà bouleverser l’histoire.

Auteur : Patrice REMEUR – DIFFUSE AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE POINT BANQUE. REPRODUCTION INTERDITE.